Affronter le climatoscepticisme [Leçon 3]
Qui sont les climatosceptiques ?
Pour identifier un climatosceptique, il suffit de poser ces quatres questions fondamentales :
- Le changement climatique est-il réel ?
- Le changement climatique est-il dû à l’activité humaine ?
- Le changement climatique aura-t-il des conséquences dévastatrices pour l’humanité ?
- Nos actions peuvent-elles limiter l’impact du changement climatique ?
Ses réponses à ces questions permettent de définir à quel type de climatosceptique nous avons à faire et quelle information scientifique est ce qu’il rejette. En effet, un individu qui répond non à la première question est un climatosceptique pur et dur, mais qui appartient heureusement à une espèce en voie d’extinction. Pour cette petite minorité d’individus, il n’y a pas de réchauffement climatique, les scientifiques falsifient les données et les saisons ont toujours été telles qu’elles sont. Mais les preuves du réchauffement climatique abondent et cette position devient de plus en plus intenable.
Le deuxième type de climatosceptique, un des plus commun et qui représente un Français sur cinq, reconnait l’existence du changement climatique mais pense qu’il n’est pas d’origine humaine. Typiquement, il dira: “le climat a toujours changé”, il vous parlera des cycles solaires, du mini âge glaciaire du Moyen Âge et autres arguments (souvent forgés par les équipes de communications des géants pétroliers) pour prouver par A + B que “oui la température monte, mais non ce n’est pas à cause des énergies fossiles”.
Le troisième type de climatosceptique est souvent une personne optimiste qui minimise les effets du changement climatique. Il dira: “l’humain a connu des crises bien pires” ou bien “oui mais l’augmentation des températures a des côtés positifs, plus besoin de chauffage en hiver”. Ces individus peuvent être déroutants car leurs arguments sont souvent vrais, mais ils ne présentent qu’une partie du problème.
Enfin, le quatrième type de climatosceptique se caractérise par son discours sur l’inaction. Pour lui, les solutions sont tout simplement trop difficiles à mettre en place, donc il vaut mieux ne rien faire.
Pour faire face à ces différents discours climatosceptiques, une kyrielle d’arguments scientifiques adaptés à chaque type ont été développés. Vous ne croyez pas au réchauffement climatique ? En voici les preuves irréfutables. Vous ne pensez pas que les hommes sont à l’origine du problème ? Voici de manière précise comment nous y contribuons. Le changement climatique n’est pas si grave ? Voilà comment il va détruire un grand nombre de chose que nous aimons. Et enfin, on ne peut rien y faire ? Voici toutes les solutions efficaces au problème. Mais penser que le climatoscepticisme se définit par le manque de connaissances de l’individu est souvent une erreur.
La cognition n’est pas (toujours) au service de la vérité
Notre premier réflexe pour convaincre est souvent de donner plus d’information : parler des rapports du GIEC, donner des exemples des conséquences du changement climatique, ou partager une tribune sur l’importance de la taxe carbone. Nous partons du principe que le but de notre cognition est d’arriver à la vérité et qu’en conséquence, présenter des faits objectifs sera suffisant pour faire changer d’avis quelqu’un. Or, connaître la vérité n’est qu’un des objectifs parmi d’autres de notre cognition. Chacun a un ensemble d’autres objectifs, comme par exemple : justifier ses actions afin de se donner une bonne image, ou s’assurer l’appartenance à un groupe, objectifs qui peuvent entrer en conflit avec sa quête de vérité. C’est ce qu’en psychologie, nous appelons “raisonnement motivé” : notre tendance à rechercher et à évaluer des arguments de manière biaisée afin de justifier une croyance qui facilite nos interets sociaux — reputationnels en particulier — ou economiques. Par exemple, dans un contexte ou la question de l’implication des activites humaines dans le changement climatique est politiquement polarisée (gauche et droite se dechirent), il peut être avantageux socialement de se positionner comme climatosceptique. Une étude réalisée aux Etats-Unis montre par exemple que les individus jugent de manière biaisée la véracité de différentes articles en fonction de leur orientation politique : les démocrates surestime la véracité des articles qui remettent en question l’idéologie républicaine et vice-versa. Au delà du rejet des preuves scientifiques qui montrent que (1) le changement climatique est réel, (2) qu’il est causé par les humain, (3) qu’il a des conséquences graves pour l’humanité et (4) que l’on peut encore agir pour en limiter les conséquences, ce qui rassemble les climatosceptiques c’est leur motivation à protéger leurs intérêts.
Prenons le cas de Pierre. Pierre est consultant pour des entreprises pétrolières et a donc un intérêt à maintenir le statu quo. Il a accès aux mêmes sources d’information que le reste de la population et a même lu certains rapports du GIEC. Pierre se concentre pourtant de manière sélective sur les études qui semblent mettre en doute la réalité du changement climatique en ignorant le consensus écrasant parmi les scientifiques du climat et le vaste ensemble de preuves soutenant l’existence du changement climatique. Lorsqu’un article montre que les prédictions des scientifiques n’ont pas été vérifiées — souvent car le changement climatique est encore plus grave qu’anticipé — il le prendra comme preuve qu’on ne peut pas faire confiance aux scientifiques. Le problème n’est pas un manque d’information ou de connaissances, le problème est la manière dont Pierre va utiliser cette information pour arriver à ses fins. Que faire ?
Identifier les valeurs de l’individu et adapter son discours
La première chose à faire est d’identifier les valeurs de son interlocuteur pour comprendre ses motivations profondes, indépendamment de son type de climatoscepticisme. Dans le cas de Pierre, il valorise l’innovation, l’autonomie et le génie humain. Pour lui, la transition écologique est synonyme d’une régression technique de la civilisation qu’il faut combattre à tout prix. Pour lui parler de la crise climatique, il va falloir rendre l’engagement climatique compatible avec sa vision du monde. Par exemple, en expliquant que le changement climatique affecte déjà les chaînes d’approvisionnement mondiales et fait donc ralentir la croissance et l’innovation et que s’engager pour le changement climatique passe aussi par la création de solutions innovantes, comme par exemple des solutions financières pour gérer les “actifs irrécupérables” des entreprises d’énergie fossiles.
Une étude judicieuse réalisée par le chercheur américain Dan Kahan illustre ce principe. Dans cette expérience, des participants républicains et démocrates devaient d’abord lire une étude sur les impacts du changement climatique. Après avoir lu cette étude, ils étaient ensuite assignés de manière aléatoire à lire un des deux textes suivants: une étude soulignant l’importance des politiques publiques telles que la taxe carbone pour limiter le changement climatique et une étude soulignant l’importance de l’innovation telle que la géo-ingénierie pour limiter le réchauffement de la planète. Une fois avoir lu l’étude et un de ces deux textes, les participants devaient dire à quel point ils croyaient au changement climatique. Kahan montre que les démocrates ont plus tendance à croire au changement climatique si la solution proposée sont les politiques publiques, alors que pour les républicains, c’est l’effet inverse: ils croient plus au changement climatique lorsque la solution est la géo-ingénierie.
Si vous tombez sur quelqu’un comme Pierre, il faut comprendre à quoi il s’oppose. Souvent, ces individus ne sont ni contre la science ni contre le bien-être de l’humanité, simplement, certaines valeurs leur sont chères ou encore leurs intérêts personnels leur paraissent menacés. Allez dans leur sens et montrez leur en quoi, même dans leur système de valeur, il est important de non seulement croire au changement climatique mais aussi s’engager pour le limiter.
Éviter le phénomène de réactance
Répétez assez souvent à un adolescent de ne pas fumer et vous pouvez être sûr qu’il va le faire. En effet, non seulement passer outre l’interdit peut avoir un attrait en soi mais nous avons également horreur qu’on nous dise quoi faire, et pour prouver que nous sommes libres de nos choix, nous faisons exactement le contraire. Ce phénomène a un nom en psychologie cognitive: c’est le phénomène de réactance. On se souvient de ce problème pendant la crise du Covid 19, certaines personnes n’aimant pas qu’on leur impose un comportement et ne portaient en conséquent pas leur masque pour signifier leur protestation.
Plus vous poussez un individu de manière frontale, plus vous courez le risque de provoquer de la réactance. Alors, à la manière d’un bon judoka, il vous faut utiliser la force de son adversaire contre lui : prenez ce besoin de liberté et faites-en un allié. J’ai fait cette expérience plusieurs fois. Au lieu de sermonner mes amis à proposde la fast fashion qui représente une proportion importante de l’empreinte carbone des jeunes (chose qui souvent provoque un agacement), je parle des techniques qu’utilisent les entreprises comme Shein pour vendre à tout prix. J’explique en quoi leur marketing — de l’utilisation de nudges tels que “5 personnes ont aussi cet article dans leur panier” au messages insidieux promus par des influenceurs surpayés — est une machine de manipulation incroyable pour les jeunes. Elle nous pousse à vouloir remplacer notre garde robe toutes les semaines au lieu de trouver des choses qui nous plaisent et qui tiennent dans la durée. Ce discours retourne la situation, et pour retrouver un sentiment de liberté, la réponse est d’arrêter l’hyper consommation. Il y a tout un tas de variantes de ce discours sur les énergies fossiles, les voyages low-costs, ou les smartphones.
Aller au delà de l’information
Mais même si une personne répond “oui” aux 4 questions, cela ne veut pas dire qu’elle va passer à l’action. L’étape d’après est la motivation que nous allons voir ensemble.