Informer efficacement [Leçon 2]
Après 40 années d’efforts, les scientifiques ont enfin réussi à faire passer le message: aujourd’hui, plus de 8 Français sur 10 sont conscients du changement climatique et on retrouve les mêmes chiffres à l’échelle européenne. On peut donc se réjouir que, sur le vieux continent du moins, les scientifiques aient su faire passer leur message, mais ne nous leurrons pas, nous avons gagné une bataille mais pas la guerre. Afin de passer à l’action, il ne suffit pas d’avoir conscience du changement climatique, encore faut-il comprendre à quoi il est dû (1 Français sur 5 croit que le changement climatique est un phénomène naturel et non causé par les êtres humains), quelles sont les sources d’émissions de gaz à effet de serre (6 Français sur 10 pensent que le nucléaire participe aux émissions de gaz à effet de serre) et quelles solutions peuvent être mises en place (l’impact climatique de certaines politiques publiques comme la baisse des limites de vitesse sur les autoroutes est encore mal compris).
Contrairement au problème de la destruction de la couche d’ozone identifié dans les années 70, les causes et conséquences du changement climatique sont complexes et entourées d’incertitudes scientifiques. Par exemple, les sources d’émissions de gaz à effet de serre sont multiples : combustion des énergies fossiles, appauvrissement des sols ou feux de forêt, alors que les causes de la destruction de la couche d’ozone, les halogènes, étaient clairement identifiées. Dans le cas du changement climatique, les conséquences elles aussi sont multiples — de l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes à la destruction des habitats de nombreuses espèces en passant par l’augmentation de la prévalence de certaines maladies — dans le cas de la couche d’ozone, les scientifiques parlaient uniquement de l’augmentation des cancers de la peau. Cette complexité est un frein à la compréhension et donc au passage à l’action.
Imaginez que vous soyez gravement malade. Vous pouvez être conscient de votre état, mais si vous ne connaissez pas les causes de la maladie et les gestes à faire pour vous soigner, vous n’allez pas pouvoir faire grand chose. Pour qu‘un individu passe à l’action, il faut qu’il ait les bonnes connaissances à sa disposition. Imaginez maintenant que vous voyez votre médecin. Il vous explique dans un charabia scientifique que vos voies aériennes supérieures ont été envahies par un adénovirus qui provoquent une rhinite aiguë, que vous avez dû le contracter par aérosol et que vous pouvez soigner les symptômes en prenant un antalgique et des vasoconstricteurs décongestionnants. Si votre médecin s’en tient à cela, il est possible que vous n’ayez rien compris et que vous ne sachiez pas quoi faire. En effet, pour qu’une information soit utile, il faut qu’elle soit compréhensible, mémorable et exploitable et le jargon scientifique est un obstacle à la compréhension. Par ailleurs, notre cerveau est loin d’être une machine parfaite qui comprend tout, — au contraire, il est constitué d’un tas de mécanismes qui peuvent devenir des entraves à la compréhension.
La cognition et les maths
Notre cerveau est capable de faire rapidement des calculs très complexes, comme estimer la trajectoire optimale d’une balle qu’on veut lancer à un ami, mais peut aussi complètement échouer sur des tâches très simples. Prenons l’exemple du fameux “Bat and ball problem” :
Une raquette de tennis et une balle coûtent 1.10 euros au total. La raquette coûte 1.00 euros de plus que la balle. Combien coûte la balle ?
Pour la majorité des gens, la réponse intuitive et immédiate est de dire 0.10 euros. Pourtant, la bonne réponse est 0.05 euros (0.05 + 1.05 = 1.10). Notre premier instinct est faux car notre cerveau ne peut s’empêcher de faire un raccourci facile: 0.10 + 1.00 = 1.10 euros.
Notre cerveau peine également à comprendre les quantités exprimées sous forme de pourcentage (par exemple 70% des Français) versus les quantités exprimées sous forme de fréquence (7 Français sur 10). Dans le premier cas, notre cerveau doit traiter d’une fraction qui reste abstraite, alors que dans le second il peut s’appuyer sur une représentation mentale de 7 personnes parmi un groupe de 10 personnes.
Autre exemple lié au mathématiques: notre cerveau peine à faire la distinction entre des quantités importantes. Si on vous propose 1 pomme versus 10 pommes, cela va probablement vous paraître être une grande différence (x10). En revanche, si on vous offre un million de pommes versus un milliard de pommes, dans les deux cas votre cerveau enregistrera que c’est “beaucoup de pommes” (alors que la différence est x1000). Plus les ordres de grandeur sont grands, moins nous en percevons les différences.
La manière dont on communique sur le changement climatique requiert souvent un raisonnement mathématique complexe. Les ordres de grandeur sont très élevés (par exemple, “les émissions de CO2 de la France en 2022 s’élevaient à 408 millions de tonnes”), les risques sont exprimés en pourcentage (par exemple, “le changement climatique a augmenté les probabilité de cette inondation de 50%”) et nécessitent un raisonnement mathématique peu familier (un réchauffement de 1.5°C veut en vérité dire une augmentation des vagues de chaleur extrême). Pour mieux communiquer il faut donc utiliser des ordres de grandeur plus petits et plus proches de l’individu (par exemple, “10 tonnes d’émission de carbone en moyenne par Français”), parler en fréquence plutôt qu’en pourcentage (“une inondation sur trois est causée par le changement climatique) et réduire le besoin de faire des calculs.
La cognition et les liens de cause à effet
Afin de comprendre et de retenir une information, notre cerveau a besoin de comprendre les liens de cause à effet. Expliquer ces liens peut être beaucoup plus convaincant pour changer un comportement que de simplement énumérer des faits ou donner des conseils. Prenons le cas des antibiotiques. Nous avons tous entendu que “les antibiotiques c’est pas automatique !” parce que trop d’antibiotique peut générer de la résistance bactérienne. Une manière de combattre la résistance bactérienne est de suivre son traitement antibiotique jusqu’à la fin, même après la disparition des symptômes. Cependant, de nombreuses personnes arrêtent leur antibiotiques avant la fin de la prescription, et ce, malgré les recommandations des médecins et les notices explicatives. Pourquoi ne suivons-nous pas les conseils des médecins ?
Une étude réalisée aux Etats-Unis a montré que les individus étaient beaucoup plus susceptibles de suivre leur traitement jusqu’au bout si, au-delà d’une simple injonction, on leur expliquait pourquoi c’était important. Dans une expérience, les chercheurs ont donné l’explication suivante aux patients: les antibiotiques ne traitent pas les symptômes mais ciblent directement les bactéries, les bactéries sont des organismes vivants et, une fois qu’elles pénètrent dans le corps, elles commencent à se reproduire et à se multiplier, les bactéries présentent différents niveaux de tolérance aux antibiotiques prescrits, les bactéries les plus faibles sont éliminées en premier, tandis que les plus fortes mettent plus de temps à succomber à l’antibiotique. Si quelqu’un arrête de prendre ses antibiotiques avant d’avoir tué les bactéries les plus résistantes, elles se multiplient à un rythme rapide. Les générations successives de ces bactéries seront plus susceptibles de devenir résistantes aux antibiotiques, créant des maladies très difficiles à traiter et qui pourraient être transmises à d’autres personnes. Ayant reçu cette explication, les patients disaient être plus susceptible de continuer leur traitement jusqu’à la fin.
Dans le cas du changement climatique, les liens de cause à effet sont souvent opaques, notamment car les gaz à effet de serre sont invisibles. Il est donc difficile pour un individu d‘imaginer que manger un morceau de viande rouge contribue au changement climatique ou que mettre en place une politique de rénovation thermique est une des solutions au problème. Rendre plus évident ces liens de cause à effet est important pour que l’information soit comprise, mémorisée et utilisée pour informer un comportement.
La mémoire, un ingrédient essentiel
Revenons à l’exemple de votre médecin. Après quelques questions, vous avez enfin réussi à comprendre ce qu’il fallait faire pour vous soigner. Mais vu la complexité de l’information, aussitôt le médecin reparti, vous avez tout oublié. Si vous n’avez pas pris de notes, vous n’êtes pas plus avancé qu’au départ. Il en va de même pour le changement climatique. Nous avons beau comprendre l’information et les liens de cause à effet, si nous n’arrivons pas à retenir l’information, elle sera beaucoup moins efficace, à moins que nous nous promenions en permanence avec une fiche de rappel.
La mémoire est une fonction cognitive étonnante. Un être humain est capable de reconnaître un visage familier après des années d’absence, et ce même si le visage a beaucoup changé. En revanche, il peut oublier un code pin à 4 chiffres au bout de quelques secondes. En effet, notre mémoire est très spécialisée: nous nous rappellons facilement de certains types d’information comme les visages, la réputation des autres, et les types de nourriture comestible, mais nous peinons à nous rappeler une suite de chiffres ou un nom propre. Notre mémoire à court-terme, celle qui nous permet de retenir une quantité d’informations limitée durant une courte durée, par exemple lors d’une conversation, a une capacité limitée. Si on nous montre pendant 1 seconde une liste de 12 lettres, il est fort probable que nous ne nous souvenions que de 5 à 9 lettres. C’est dû au fait que la quantité d’information que peut retenir la mémoire à court-terme est d’environ 7 éléments.
Maintenant, si on nous présente la même information (12 lettres) pendant 1 seconde, mais dans un format légèrement différent, il est probable que nous nous rappelions de l’ensemble des lettres.
En effet, dans ce second cas, la même information (12 lettres) est traitée par notre cerveau de manière différente : elle est comprise comme 4 acronymes connus. Notre mémoire de court terme peut s’appuyer sur ses connaissances préalables pour traiter l’information. Plus une information est familière ou proche de choses que nous connaissons déjà, plus elle sera facilement retenue. C’est le principe qui sous-tend les ‘mnémotechniques’ : nous transformons une information pour la rendre plus familière, par exemple nous utilisons un mot familier, ‘ce galop’, pour se souvenir de la liste plus complexe des sept péchés capitaux : Colère, Envie, Gourmandise, Avarice, Luxure, Orgueil, Paresse.
La mémoire à court-terme agit comme une porte d’accès à la mémoire à long terme. Pour qu’une information soit retenue dans le temps long et puisse donc avoir un effet sur notre comportement, il faut qu’elle soit facilement mémorisable. Hors, dans le cas du climat, les informations communiquées sont souvent peu familières et donc difficilement mémorisables. Simplifier l’information et trouver des métaphores pour l’illustrer permet de mieux communiquer sur le climat.
Une leçon de communication
Comment informer efficacement sur les questions climatiques ? Il existe de nombreuses recommandations pour rendre l’information plus accessible, dont par exemple cette étude menée sur des milliers d’américains qui a identifié un message aussi simple qu’efficace pour informer la population sur le changement climatique: (1) il y a un consensus scientifique, (2) le changement climatique est réel, (3) il est causé par les êtres humains, (4) il est dangereux… et (5) on peut encore agir !
Malgré cela, il peut encore y avoir des réticences de la part de la population. C’est pourquoi la semaine prochaine nous aborderons les problèmes du climatoscepticisme.